U4, l’acier sublimé

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Ouvert au public en 2007, le Parc du Haut-Fourneau U4 d’Uckange est un lieu de mémoire autant que de vie. Le site est aussi un symbole fort d’une reconversion industrielle réussie.

Le « Texas français » n’est plus. Dans ce coin de Lorraine, pendant des siècles, les minerais ont été remontés des sous-sols saignés aux mille veines, aussitôt avalés par des monstre en ferraille. En surface, les usines étaient autant de poumons à vif et palpitants. Telles des gueules voraces, les laminoirs engloutissaient puis recrachaient l’acier fondu, rouge puis or. Un fleuve infernal qui faisait pleuvoir des « -anges » : Florange, Hayange, Uckange… Le Val de Fensch, autrefois décor d’une industrie sidérurgique florissante, pourrait ressembler aujourd’hui à une Vallée de la Mort. Pourtant, nuls squelettes d’animaux fossilisés ici : seuls restent ceux des usines, fermées les unes après les autres au fil des décennies. Les hauts-fourneaux aussi, dinosaures involontaires d’un âge d’or révolu, ont presque entièrement disparu. Mais au lieu d’une vallée désolée, les visiteurs découvrent un espace où la verdure reprend du terrain et où le soleil, quand il pointe son nez, n’est plus voilé par les fumées des usines. Et ce patrimoine brûlant continue à exister en partie grâce au tourisme industriel. Uckange est un de ces résistants de la première heure. Dès 1989, à l’annonce de sa fermeture imminente, les ouvriers et syndicats se rebellent. Grèves, négociations ne sont que les génériques d’une fin inéluctable. Les derniers hauts-fourneaux en activité expirent en 1991. Mais Uckange a encore des ressources en réserve.

©quatre-vents

©Tous les Soleils - ADAGP Claude Lévêque 2006

6©service communication CAVF

jardin des traces © R. Jacquot

Résistance

Fondée entre 1890 et 1900 par les Stumm, industriels sarrois, l’usine est une des rares à avoir été conservée presque entièrement en l’état avec sa haute cheminée de 82 mètres et sa halle de coulée récemment restaurée. « Après l’arrêt de l’activité sur le site, nous étions partagés entre plusieurs solutions : soit laisser le haut-fourneau restant comme un totem et détruire le reste, soit garder différents éléments pour perpétuer la mémoire et l’histoire de l’usine », reconstitue Lucie Kocevar, vice-présidente à la culture, au patrimoine et au tourisme au sein de la communauté d’agglomération « Val de Fensch », aujourd’hui propriétaire de ce trésor régional. En 2001, le site est finalement classé à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques et une nouvelle ère s’ouvre. Il a fallu tout de même une bonne dose de persévérance pour mener ce projet de « renaissance » à bien. « Dans le secteur sidérurgique, personne n’était vraiment habitué à parler de patrimoine industriel et l’idée de le conserver pouvait sembler incongrue  », note Lucie Kocevar. Dans la région, les mines avaient déjà su capitaliser sur leur histoire ; les Hauts-Fourneaux pas encore.

Fierté redorée

Uckange est à ce jour le seul exemple d’usine à fonte transformée en musée vivant. En lieu et place de guides conférenciers, des anciens sidérurgistes font découvrir leur univers à plus de 30 000 visiteurs annuels. « Ce que j’aime à Uckange, c’est transmettre mes connaissances sur un métier qui n’existe plus. Pendant plusieurs siècles, il a pourtant fait vivre la Lorraine et indirectement a contribué à reconstruire la France d’après-guerre », explique Jean Larché, président de Mécilor, l’association chargée des visites guidées du Parc du Haut-Fourneau U4. Et les neuf bénévoles partagent plus que des détails techniques : ils sont parmi les derniers témoins de ce territoire où Polonais, Italiens, Algériens et tant d’autres migraient afin de trouver un moyen de subsistance, construire une nouvelle vie. Du reste, chaque usine formait presque un second foyer. « Les sidérurgistes s’attribuaient leur usine. Pour ma part, j’étais à Hayange. Lorsque j’y suis retourné récemment j’ai eu un pincement au cœur. Nous n’avons pas beaucoup d’anciens d’Uckange. Ceux qui ont travaillé ici et qui effectuent les visites ressentent certainement la même nostalgie », précise Jean Larché.

Évol’U4

Toujours oscillant entre passé, présent et futur, le Parc du Haut-Fourneau U4 se dessine depuis 2011 une carrure plus étoffée avec le lancement du projet Evol’U4. Sur ces 12 hectares, plus 5 autres dédiés au Jardin des Traces, la communauté d’agglomération du Val de Fensch fait pousser les initiatives comme autant de fleurs. Outre une programmation culturelle de plus en plus intensive et riche, le site est devenu le lieu d’installation du centre de recherche public Métafensch, destiné à faire naître les aciers de demain. L’exposition mise en place par l’association Mécilor quittera, quant à elle, son chapiteau pour un espace plus permanent dans les bâtiments des anciens bureaux de l’usine. La halle de coulée est désormais accessible au public via des passerelles et a été valorisée par une mise en scène de l’artiste Claude Lévêque, déjà intervenu sur U4 avec son œuvre « Tous les soleils ». Et puis, si une partie de son histoire est à valoriser, une autre doit disparaître. Dans les sols, l’activité éteinte de l’usine a laissé des traces de fuel, soude ou chaux. Avec la création d’un jardin dépolluant, mêlant recherche scientifique et action écologique, U4 mise définitivement sur le vert et efface la triste image passée de cette vallée mosellane.

U4, d’acier & d’arts

Avec plus de 33 000 visiteurs en 2015, le Parc du Haut-Fourneau U4 est un pôle d’attraction touristique, en grande partie grâce à sa programmation culturelle et artistique.

« On ne peut pas tout miser sur la mémoire pour amener des visiteurs fidèles au Parc du Haut-Fourneau, d’où l’importance de développer une programmation artistique et culturelle. Depuis cinq ans, cette dernière est plus régulière. La friche industrielle se prête particulièrement aux arts du cirque et de la rue », insiste Lucie Kocevar, vice-présidente à la culture, au tourisme et au patrimoine du Val de Fensch. En la matière le site ne se contente pas juste d’être un beau décor et s’articule autour de trois axes : création, sensibilisation et diffusion de projets artistiques en tous genres. Cette volonté a pris forme dans un premier temps avec la mise en lumière du site par Claude Lévêque dans son œuvre « Tous les soleils », aujourd’hui prolongée avec une installation artistique dans la halle de coulée.

Loudblast ©service communication CAVF

Cirque S'lex 'n sueur - ©service communication CAVF

le juke box d'helène et ivan - cie mamaille

Sodade - Cirques Rouages ©CAVF

Les liens du sol

Chaque année, U4 porte à bout de bras des créations ou des compagnies à travers des appels à projets, des résidences… L’objectif : renforcer les liens avec la population de ce territoire. La manifestation « Portraits de territoire », portée par la compagnie Nejma (85) en est l’un des exemples parlants. Depuis l’année dernière, une « cabine photographique » s’est baladée sur 6 communes de la vallée, du marché de Fameck au centre aquatique Feralia à Hayange. Elle a ramené de ce périple 1 200 photographies qui feront l’objet cette année d’une exposition itinérante, présentée en avant-première le 21 mai dès 19h au Parc U4.

Pop’hilarité

D’ailleurs en 2016, le site va plus loin dans la proximité et l’ouverture. « Il nous a été parfois reproché d’être trop élitistes. Cette année nous avons décidé de fonder notre programme sur le thème de « culture populaire », destiné à toucher un plus grand public. Les artistes jouent avec ce concept et ses différentes formes acceptées comme les attractions foraines, les veillées, le cirque sous chapiteau, la fête de village… », ajoute Lucie Kocevar. Tout au long de l’été, plusieurs manifestations interrogent avec humour ou poésie cette notion. Ainsi, le 19 juin l’association Boomchaka lance sa brocante de vêtement « décalée », le « Sap’en troc », où partage, customisation et art feront bon ménage.

Carrefour des disciplines

Art, mémoire ouvrière et science se croisent aussi au détour de la programmation. Le 3 juillet, pour la Fête du Patrimoine Industriel, les guides Mécilor ressuscitent un bas-fourneau, ancêtre plus petit du haut-fourneau, duquel le forgeron Thierry Tonnelier extraira une loupe de fer.  Le collectif d’illustrateurs « Light Matter », lauréat 2016 de l’appel à projet Evol’U4, a travaillé autour de différentes techniques sur un abécédaire de la sidérurgie illustré présenté de juillet à septembre sur le site. Enfin, pour la première fois, les Dîners Insolites s’arrêteront à l’U4 les 15, 16 et 17 juillet. En parallèle, jusqu’à sa fermeture en octobre, le site continue d’enchanter les visiteurs avec une programmation forte en sensations diverses.

Plus d’informations sur la programmation culturelle ou le projet Evol’U4 sur le site : hf-u4.com/fr

Fleurs de friche

Entretenus par Chrysopée, les 5 hectares du Jardin des Traces dans le Parc du Haut-Fourneau d’Uckange font pousser la mémoire ouvrière autant que les belles plantes. Olivier Clause, président de l’association, nous fait faire le tour du propriétaire.

Un jardin sur une friche industrielle, qu’est-ce que cela implique ?

L’installation a été très compliquée car le terrain est hostile. Il y avait plus de deux mètres d’épaisseur de pierres de ballast, à l’origine utilisées pour le chemin de fer, ou de fondations de bâtiments. Pour planter un arbre, il faut un marteau-piqueur ou un burineur. Il existe aussi deux endroits interdits d’exploitation à cause de la pollution des sous-sols, notamment au fuel lourd. En matière environnementale, nous avons donc misé à travers le Jardin des Traces sur des expériences vertueuses. Ainsi, pour l’entretien, nous avons opté pour un engrais bio produit grâce à des composteurs et nous avons aussi un coq et deux poules.

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Quelles réflexions vous ont guidé dans la mise en œuvre de cet espace ?

Aujourd’hui le Jardin des Traces est en fait l’association de trois espaces différents : le Jardin de l’Alchimie, le Jardin du Sidérurgiste et le Jardin des Énergies. Au départ, nous ne savions pas si cela allait être un parc ou plutôt un jardin. Nous avions donc seulement ajouté un peu de terre ou de gazon, passé le burin à quelques endroits. Au fur et à mesure le projet s’est enrichi, l’espace aussi et nous avons mis en scène les hectares à notre disposition. Notre premier choix était de nous orienter vers des plantes qui se plaisent sur des terrains difficiles, graminées ou sédums. Peu à peu, d’autres espèces sont venues enrichir la collection, plus colorées, plus sympathiques. Désormais nous arrivons à y faire pousser presque tout, des palmiers aux légumes.

Retrouvez toutes les informations sur le Jardin des Traces ici : jardindestraces.fr

EVOL'U4 jardin HL architectes

Photos © DR