Le musée de Gravelotte renaît de ses cendres

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Après deux années de travaux, le musée de Gravelotte en Moselle rouvre ses portes le 18 avril prochain. Au fil de ses 900 m2 d’exposition permanente, tout un pan de l’histoire de l’Alsace-Moselle est à redécouvrir : de la guerre de 1870 et ses conséquences jusqu’à la première guerre mondiale.

Comme les chats, le musée de Gravelotte a plusieurs vies. Créé en 1875 par M. Victor Erpeldinger, un collectionneur de vestiges de guerre lorrain, il a connu ensuite bien des revers à l’image de la ville qui l’héberge : destruction, reconstruction, changement de propriétaire ou de tutelle. En 1998, il passe aux mains du conseil général de Moselle. Ce dernier a en tête un projet plus vaste que le cabinet d’objets militaires récupérés du début : un pôle retraçant l’histoire des Mosellans de la guerre de 1870 à 1914, de l’annexion à la libération. Redessiné par l’architecte Bruno Mader, repensé par le muséographe Pierre Verger, le bâtiment renaît pour la troisième fois sous un jour nouveau. Cet espace de 2500 m2 accueillera à la fois des expositions, permanentes et temporaires, un service pédagogique et une bibliothèque.

Une mine de collections

Avec plus de sept cents documents présentés, le musée balaye de façon méthodique et précise ces trente-cinq années séparant 1870 de 1914. Grâce à des collections issues de musées français et allemands, militaires et civils, Gravelotte s’est enrichi d’objets, de journaux, de caricatures, de lettres et de tableaux. Ce souci du détail dans la muséographie couplé à un sens pédagogique offre au visiteur de saisir les rouages complexes de l’histoire. L’approche du musée se veut multimédia : elle varie les supports, propose aussi bien des films que des photographies ou des peintures. Ainsi la guerre de 1870, et l’annexion qui a suivi, sont disséquées sur différents niveaux : sociologique, littéraire, militaire, stratégique, pictural… Un espace est dédié entièrement au Panorama de Rezonville qui permet de découvrir en images les détails d’un champ de bataille. Par ailleurs, une part importante de l’exposition permanente est consacrée au « Reichsland », les territoires annexés d’Alsace et de Moselle.

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Gravelotte, plus qu’une expression

Pour nous faire revivre ces évènements, le musée a décidé de s’adresser aux sens du visiteur et à ses émotions. Il commencera par s’immerger complétement dans le monde froid et violent du champ de bataille. À travers la présentation d’objets défigurés par la guerre, comme cette armure cabossée par les impacts de balle, le musée met les spectateurs dans la peau d’un soldat. Deux poèmes, Le Dormeur du Val d’Arthur Rimbaud et Die Trompete von Gravelotte de Ferdinand Freiligrath, redistillent un peu d’humanité dans le chaos des combats. Il est ensuite possible de remonter aux racines de ce conflit, comprendre comment il a démarré et ce qu’il a généré. L’objectif du musée est de rentre plus vivant ces morceaux du passé parfois effacés par l’horreur des deux conflits mondiaux de 14-18 et 39-45. Des combats de 1870, il ne reste que l’expression : « ça tombe comme à Gravelotte ». Derrière celle-ci, se dissimulent les douleurs des soldats tombés sur le champ de bataille, mitraillés, décimés. Prussiens, Français, tous réunis dans le sang. Surtout, la guerre de 1870 est le point de départ d’une haine franco-allemande tenace car elle sera l’étincelle qui avivera le feu de 14-18. Toutes ces souffrances s’inscrivent même dans l’architecture de Bruno Mader avec la figuration de « déchirures » sur le toit et le plafond du hall d’accueil. Mais le musée de Gravelotte n’est pas qu’un beau bâtiment. Il faut également découvrir l’intérieur…

Le Panorama de Rezonville

Le musée de Gravelotte a enrichi sa collection avec des peintures représentant des scènes de la bataille de Gravelotte. Neuf toiles du Panorama de Rezonville font partie de ces témoignages picturaux. Focus sur cette œuvre.

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Le Panorama de Rezonville est un ensemble de 115 tableaux peints par Édouard Detaille et Alphonse de Neuville. Au XIXe siècle, les panoramas étaient un genre pictural très répandu. Les toiles qui les composaient étaient présentées dans une salle circulaire ou rotonde. Cette mise en scène particulière permettait aux spectateurs de suivre les différentes peintures comme les images d’une bande dessinée. Le Panorama de Rezonville a, pour sa part, était exposé entre 1887 et 1896 à Paris. L’un des deux artistes, Édouard Detaille, a été soldat pendant la guerre de 1870 et restitue dans les détails son expérience des combats.  Le style des tableaux est donc très réaliste, presque photographique.

Sale temps à Gravelotte

« Ça tombe comme à Gravelotte ». L’expression est connue mais qui peut dire quelle histoire elle renferme ? Voyage dans le temps aux racines de ces cinq mots…

« Je m’empresse de vous écrire pour vous dire que je ne suis ni tué, ni blessé mais que je ne suis pas passé bien loin […] ; c’était une bataille sanglante. Les balles pleuvaient comme la grêle, on aurait dit des bourdons qui volaient à côté de nous ». Le 14 août 1870, Palmyr Lanquetin, 22 ans, écrit à ses parents sa dernière lettre. Il disparaît le lendemain et son corps ne sera jamais retrouvé. Cette évocation crue et saisissante des affrontements entre Français et Allemands est la première ébauche de l’expression « ça tombe comme à Gravelotte ». Dans ces cinq mots sont résumés trois jours de combats intenses et meurtriers.

Le feu des canons

La bataille de Saint-Privat, plus connue sous le nom de Gravelotte, s’est déployée sur plusieurs villes et villages de l’axe Metz-Verdun. Le 14 août, les armées allemandes, composées de soldats des différents états allemands et de Prusse, affrontent l’armée française près de Metz. Au fur et à mesure les deux camps se déplacent et se retrouvent le 18 août à Gravelotte. Pendant les trois jours d’hostilités, les 14, 16 et 18 août, 75 000 soldats sont tués, blessés ou portés disparus. L’ampleur des pertes s’explique en partie par les moyens techniques militaires en usage en 1870. En plus des fusils affublés d’une baïonnette, l’artillerie française est dotée de mitrailleuses Reffye. Ces dernières peuvent tirer 130 coups par minute. Les 280 000 combattants allemands subissent un feu nourri et ravageur. Les Français, au nombre de 120 000, accusent également de lourdes pertes. Les troupes prussiennes et leurs alliés utilisent des canons Krupp à la portée ravageuse de 3000 m, bien plus que les canons adverses. Des deux côtés, les balles s’abattent sur les hommes et les corps tombent.

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Une cuisante défaite

La tourmente de la guerre va ensuite quitter Gravelotte et Saint-Privat. À l’issue de ces combats, l’armée française en défaite se replie sur Metz le 19 août. Le piège se referme sur eux. Les militaires allemands encerclent la ville et en font le siège. Dans la capitale mosellane, les troupes et la population subissent cette situation pendant de long mois, souffrant la faim et l’attente. Tout autour, l’ennemi gagne du terrain. À environ 130 km de là, à Sedan, l’empereur Napoléon III tente d’arrêter l’avancée des contingents allemands les 1er et 2 septembre 1870. La bataille se solde par une cuisante défaite : Napoléon III capitule, le Second Empire s’écroule et l’Alsace-Moselle est engloutie par l’Empire allemand. À jamais liée aux atrocités de 1870, Gravelotte laisse une trace rouge indélébile dans l’histoire. Peintres, poètes, écrivains se chargeront de remettre sur les souffrances, des mots ou des formes. Ainsi Victor Hugo écrira dans « Nos Morts » un hommage à ces hommes sacrifiés : « On voit partout sur eux l’affreux coup du boulet, la balafre du sabre et le trou de la lance ; le vaste vent glacé souffle sur ce silence ; ils sont nus et sanglants sous le ciel pluvieux ». La guerre de 1870 emportera avec elle 286 000 hommes des deux côtés. Et pendant quarante-huit ans elle changera le visage de la France.

France-Reichsland : voyage aller-retour

Suite à la guerre de 1870, la France est amputée d’une partie de son territoire. Le musée de Gravelotte décrit la vie des populations alsaciennes et mosellanes dans le « Reichsland ».

Le 18 janvier 1871, dans la Galerie des Glaces à Versailles, l’Empire allemand prend vie. Les cendres du Second Empire français et du règne de Napoléon III sont encore chaudes. La France, en position de faiblesse, se voit dépossédée de l’Alsace-Moselle à l’issue du traité de Francfort, le 10 mai 1871. Pour les populations annexées, la vie se transforme brutalement. Tout ce qui rappelle la France est banni : la langue est la première sacrifiée. La germanisation commence tôt, à l’école, comme le montrent les livres scolaires retrouvés et présentés au musée de Gravelotte. Certains remontent aux premières années de l’annexion, un des livres ayant été édité en 1875.

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Loin des yeux, près du cœur

L’assimilation, ou l’acculturation, s’emparent d’autres domaines. L’architecture de certaines villes est remodelée. La vie économique, culturelle, sociale suit le mouvement de germanisation. Surtout, l’annexion est physique : l’armée allemande occupe le territoire, les soldats de l’Empire envahissent les villes, les villages, dans des casernes ou des forts construits spécialement pour eux. Pourtant, si la France semble loin des yeux, elle demeure pendant quarante-huit ans dans le cœur des populations annexées. En 1918, le temps de la réparation a sonné. L’Alsace et la Moselle redeviennent françaises mais les souffrances de l’annexion, elles, sont restées indélébiles.