Passeurs de mémoire

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Lancées en 2010, les Années Modernes ont changé d’adresse il y a un an, passant de la proximité colorée d’Artem à celle de la vieille ville nancéienne. Dans la Grande Rue, la boutique fait de l’œil à tous les amateurs de mobilier design.

« C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe ». Que celui qui n’a jamais entendu cette phrase dans la bouche de l’un de ses grands-parents jette la première louche. Pourtant, on a beau se hérisser en l’entendant, cette expression reste une forme de conseil applicable à bien des domaines. Celui dans lequel elle ne fait jamais exception est bien celui des antiquités. D’ailleurs les magazines l’ont bien compris et resservent régulièrement des ersatz d’objets « vintage ». Dans leur échoppe, François-Xavier Daum et François Schehr ont pris le contre-pied de cette tendance et ont préféré les originaux aux copies. « Quand nous étions encore à Blandan, nous avions un fauteuil « modèle Saturne » de Geneviève Dangles. Le directeur de la marque qui le réédite aujourd’hui était venu le racheter. Il est de nouveau édité et dans de nombreux magazines », note avec ironie François Schehr.

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La prochaine croisade

Dans la ville de Jean Prouvé, leur présence était logique, voire indispensable. Passionnés à l’origine par les années 1970, les deux associés ont vite été happés par la richesse du design français et italien d’après-guerre. « Les années 1950, c’est le temps du renouveau. Il y avait un besoin urgent de se remeubler donc de jeunes designers sont appelés à la rescousse. Les premiers meubles sont peu chers et expriment des styles très différents. On parle de design à l’époque mais aujourd’hui ces objets sont considérés comme appartenant à l’art contemporain », contextualise François-Xavier. La pièce manquante de leur collection éphémère les attend encore. Il y a toujours un objet  rare à chiner, un meuble édité en série limitée qui se cache dans un débarras ou chez un particulier. Et rien n’échappe au regard acéré et expert des deux « François ». « Nous ne travaillons qu’avec des grands noms du design comme Joseph-André Motte, Jacques Biny, Michel Mortier… La France a un beau passé de designers, plus que l’Allemagne ou les États-Unis. Les productions françaises d’origine sont très recherchées à l’international et donc peu courantes et chères. Nous connaissons leur cote et nous nous appuyons sur les prix du marché, bien qu’étant un peu en-dessous de ceux pratiqués à Paris », expliquent-ils. François-Xavier Daum prend ainsi l’exemple des lampes arc revenues dernièrement à la mode et valant, pour les originales, plus de 200 euros contre 70 en copie à bas prix.

Lampe Mathieu Mategot - Crédit Les Années Modernes

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Une galerie « home sweet home »

Mais les connaisseurs ne se laissent pas berner : ils savent la qualité des premières productions et l’histoire qu’elles portent. Ils viennent ainsi du monde entier pour trouver leur bonheur à Nancy.  Grâce à un compte Instagram, les Années Modernes exposent les dernières trouvailles dans une vitrine planétaire. Cependant, le plaisir de rentrer dans ce lieu d’exposition inhabituel ne peut se ressentir que sur place. François-Xavier Daum et François Schehr ont reconstitué une ambiance propre à vous faire sentir chez vous. Et même s’ils sont d’époque, les fauteuils vous tendent les bras, les lampes vous éblouissent et les sculptures et céramiques soufflent une aura mystérieuse.  Les deux collaborateurs veulent même pousser plus loin la mise en valeur de ce patrimoine en proposant tous les six mois une exposition dédiée à un designer de l’après-guerre. En mai, ils dédieront leur espace à une quinzaine de pièces de Mathieu Mategot, créateur et ami proche de Jean Prouvé. Plus que de simples antiquaires, François-Xavier Daum et François Schehr sont des passeurs de mémoire, celle qui gît silencieuse dans les objets d’un quotidien passé.

Les Années Modernes – 19 Grande Rue à Nancy. Tél. 06 81 05 82 17.