La Lorraine et la bière, une histoire d’amour

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Vézelise, Champigneulles, Saint-Nicolas, Tourtel…  En prononçant ce quelques noms on salive déjà, on  imagine de l’or, des bulles légères et de la mousse, un peu d’amertume aussi. Celle qui fait le charme de la bière et qui rappelle l’époque, pas si lointaine, où la région comptait plus de 200 brasseries et se classait parmi les plus importants producteurs français. A l’approche du Salon du Brasseur – rendez-vous incontournable des professionnels et amateurs de houblon – Lorraine Magazine a souhaité revenir sur l’histoire de la bière en Lorraine et vous présenter ceux qui continuent à l’écrire avec succès.

 

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Depuis la nuit des temps et partout dans le monde, la bière est une boisson incontournable. On retrouve des traces de son existence en Mésopotamie, 4000 ans avant J-C,  dans l’Egypte des pharaons et même en Chine. L’histoire qui lie la bière à la Lorraine est un peu plus récente mais à peine. Des stèles gauloises à la gloire de Succelus, le dieu de la bière, datant du 1er siècle ont été retrouvées et attestent. « Contrairement aux idées reçues, précise Benoît Taveneaux, directeur du musée de la Brasserie de Saint-Nicolas-de-Port, le tonneau a été inventé par les gaulois, pour la bière et non pour le vin. C’était un moyen de conserver leur cervoise, qui devait plus ressembler à un jus d’herbes  qu’à notre demi d’aujourd’hui. » Un peu plus tard, en l’an 641, les brasseurs trouvent leur saint-patron dans la région. On attribue en effet à Saint Arnould, évêque de Metz , né à Lay-Saint-Christophe, le miracle de la multiplication de la bière.  Selon la légende,  Peu de temps après sa mort, ses reliques furent rapportées de Remiremont à Metz. Arrivés près de Champigneulles, les fidèles qui les rapportaient manquèrent de bière et prièrent Saint Arnould afin d’avoir de quoi se restaurer. Leurs prières furent exaucées lorsqu’ils retrouvèrent miraculeusement de la bière dans leurs tonneaux vides.

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La révolution du houblon

Jusqu’au XVIIIe siècle la situation de la brasserie lorraine évolue peu. On brasse la bière dans les fermes pour la consommation familiale, et seules quelques brasseries laïques et religieuses sont autorisées à en faire le commerce. C’est le cas des bénédictins de Dieulouard, des moines brasseurs anglais chassés par la Réforme, qui fournissaient la Cour de Stanislas. A la veille de la Révolution, il n’y a qu’une seule brasserie à Nancy, « avec l’abolition des privilèges, raconte Benoît Taveneaux, tout le monde peut désormais produire de la bière. Les brasseries se multiplient. 10 ans plus tard, il y en a une bonne trentaine rien qu’à Nancy. « Mais c’st au milieu du XIXe que la production  brassicole fait sa révolution. Les brasseries d’industrialisent et profitent des progrès scientifiques et techniques. « Jusqu’à cette époque, la fabrication de la bière relevait de l’alchimie. Là, on essaye de comprendre le procédé. Pasteur vient travailler sur les levures à Tantonville, on peut dire sans exagérer que la bière moderne à été inventée dans cette commune», poursuit Benoît Taveneaux qui souligne l’esprit pionnier des frères Tourtel. Ils feront en 1852 un choix ambitieux, celui de la fermentation basse mais ils iront bien plus loin dans l‘innovation. Premiers brasseurs à investir dans une machine à vapeur et une machine à froid, ils financeront le raccordement SNCF entre Nancy et Mirecourt qui leur permettra de vendre leur production hors de la région. Et pour pouvoir livrer Paris, ils iront même jusqu’à inventer le premier wagon frigorifique. A la fin du XIXe, la brasserie Tourtel est devenue la première brasserie française en terme de production. Suivant son exemple d’autres brasseries industrielles voient le jour. Vézelise, Saint-Nicolas-de-Port, Maxéville, Charmes, Bar-le-Duc, Greff à Nancy et Champigneulles feront la renommée de cette Lorraine brassicole. L’industrialisation, synonyme de progrès, signe la disparition des petites brasseries artisanales. « Le XIXe siècle a ouvert les brasseries, le XXe les a fermées », regrette Benoît Taveneaux. Après la guerre de 14, beaucoup ne se relèveront pas et le jeu des fusions acquisitions accélèrera la fin d’autres brasseries à l’échelle départementale puis régionale. Champigneulles, la plus grande des brasseries lorraines, va prendre le contrôle de 23 brasseries de France et de Lorraine avant d’être elle-même fusionnée avec Kronenbourg avant d’être vendue au brasseur allemand Frankfurter Brauhaus qui produit aujourd’hui des bières pour les hard discounts.

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Retour à l’artisanal

La bière connaît une baisse importante de consommation – moins 15% ces 10 dernières années – elle souffre en outre d’une image pas très glamour. Au grand regret des professionnels, l’image de boisson bas de gamme et de  bibine des clochards lui colle à la peau. Mais une nouvelle révolution se prépare, dans les cuves des brasseries artisanales et des micro-brasseries qui fleurissent un peu partout en France.  Une centaine de plus chaque année et un défi partagé : redonner de la noblesse à la mousse.