Qui a peur du Grand Méchant Loup ?

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« Comme vous avez de grandes dents ! » dit le Petit Chaperon rouge au Grand Méchant Loup. Mais celui-ci n’est pas qu’un grignoteur de petites filles perdues dans les contes de notre enfance. Il est aussi un animal mystérieux et emblématique, revenu pour de vrai en Lorraine en 2011. Partez à sa découverte…

Dans les contes, le loup tient toujours le rôle du méchant, le bad guy à poils et aux crocs acérés. Il mange les grands-mères et recrache les Petits Chaperons rouges. Il fait peur autant qu’il fascine. Il s’immisce dans notre culture, dans les noms de lieux ou dans les expressions. Certaines plantes tiennent leur appellation du « canis lupus » à l’image du lupin, une plante aussi appelée en allemand « fève des loups ». Même les instruments s’y mettent : « une note délicate sur la corde de sol du violoncelle se nomme Wolf », note Madeleine Natanson dans «Loup y es-tu ?». Il n’y a que dans le Roman de Renart que l’animal, sous les traits d’Ysengrin, se fait entourlouper par le goupil. Bref, le loup est partout. Partout… sauf dans nos contrées où il a disparu pendant plusieurs décennies. En France, il ne réapparait qu’en 1992 dans le Mercantour et en Lorraine il pointe le bout de sa truffe dans le massif vosgien en 2011. Depuis, il a fait de nouveau parler de lui en Meuse avec une première attaque de troupeaux de brebis en octobre 2013. Et avec son retour, de multiples questions se posent : loup et pastoralisme font-ils bon ménage ? La peur qu’il suscite parfois nous fait oublier de le regarder de façon objective. Alors qui est vraiment ce loup qui peuplait nos histoires d’enfants, nous attire et nous inquiète ?

Un ambassadeur

Depuis plus de trente ans, le parc Sainte-Croix à Rhodes, en Moselle, tente de réhabiliter l’animal dans l’esprit du grand public. À travers des formations ponctuelles, comme celle de l’éthologue Jean-Marc Landry [voir l’interview], ou des spectacles en direction du jeune public, la réserve privée fait redécouvrir le loup sous différents aspects. De la bête féroce des contes et légendes à celle aperçue dans le parc, le loup dévoile son vrai visage. Ni ange, ni démon, il est simplement un opportuniste qui s’attaque aux bêtes les plus faibles, un animal sauvage mais qui a peur de l’homme. « Pour nous, le retour du loup est concret. Le parc en a parlé bien avant qu’il soit de nouveau présent sur notre territoire », affirme Clément Leroux, responsable communication du parc. La première meute de loups gris d’Europe y a fait son entrée en 1986. Après elle, une nouvelle a suivi, puis des loups blancs d’Alaska ont été accueillis et dernièrement des loups noirs « Timberwolf » de l’Ouest canadien. « Ici nous accueillons sur 150 hectares une faune patrimoniale qui vit dans notre région comme le cerf, ou y a vécu comme le loup, le lynx ou l’ours. Nos animaux vivent dans leur propre biotope », continue Clément Leroux. Les loups en semi-liberté peuvent profiter de grands espaces où ils vivent et se reproduisent : chaque meute a un « terrain de jeu » d’environ un hectare. Au total, avec quatre meutes de loups, toutes espèces confondues, le parc offre aux visiteurs une expérience inédite. « La captivité sert à deux choses : les loups du parc sont les ambassadeurs de ceux à l’état naturel et cela nous permet de les observer, ce qui serait impossible sinon », explique Nicolas Cassi, responsable de l’animation. Les loups de Sainte-Croix n’ont aucunement perdu leur caractère sauvage. Le contact avec les humains se fait toujours dans la distance. Ils ne sont nourris que trois fois par semaine, comme dans la nature, et leurs soigneurs n’interviennent qu’en cas de nécessité. Contrairement à leurs camarades de cinéma, ils ne sont pas imprégnés [N. d. A. habitués aux contacts physiques avec l’homme]. « Cela se traduit quand on rentre dans les enclos pour les nourrir. Ils ne viennent chercher les aliments que quand on sort », détaille l’animateur.

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Portrait en creux

Le loup gris d’Europe est difficile à observer à l’état sauvage, insaisissable. Des bipèdes que nous sommes, il n’a pas de très bons souvenirs. En conséquence, les spécimens du parc offrent un portrait en creux de leurs congénères. La meute est un des aspects les plus importants de la vie du « canis lupus ». Dans la nature, elle peut accueillir en moyenne cinq à huit loups, le maximum étant de dix. Dans cette cellule familiale, très proche de celle humaine, tout est codifié ; chacun a sa place et son rôle à tenir. À l’origine, il y a le couple alpha, un mâle et une femelle dominants. Ils s’établissent et se reproduisent. En grandissant, les petits vont trouver leur place par le jeu : les caractères forts deviendront des alphas ; ceux plus à l’écart seront des omégas, les souffre-douleur de la meute ; et entre les deux des intermédiaires, les bêtas. Cette structure sociale a une influence sur le quotidien des loups. Les alphas mangent par exemple toujours les premiers. Et la semi-liberté ne modifie pas leurs comportements, à quelques exceptions près. « Dans le schéma naturel, la meute s’établit sur un territoire et se développe sans épuiser les ressources de son milieu. Quand il n’y a pas assez d’espace ou de nourriture, certains individus peuvent partir et former un autre groupe ailleurs. Cela s’appelle la dispersion. Ici, comme ils ne peuvent pas s’en aller, nous jouons un rôle de régulation. S’il y a trop de tensions, nous pouvons envoyer des louvarts, de 6 à 10 ans, avec des jeunes adultes dans d’autres parcs européens. Ils y auront les mêmes conditions de vie et créeront leur propre meute », raconte Nicolas Cassi. D’autres phénomènes étonnants ont pu être constatés. Les soigneurs du parc ont pu ainsi se rendre compte de l’importance des loups omégas au sein d’un groupe. En tant que boucs émissaires, ils apaisent les tensions et peuvent aussi servir de nounous pour les louveteaux quand leurs camarades sont au loin. Et l’organisation même de la meute est susceptible évoluer. Si un des alphas est malade ou faible, il peut par exemple baisser de rang et être remplacé. Il existe aussi quelques rares cas de familles monoparentales. « C’est beau et paradoxal. Il y a une vraie situation familiale mais à la moindre faiblesse, les membres de la troupe peuvent être écartés », souligne Nicolas Cassi.

Loup pris par un piu00E8ge photo u00E0 Avranville @ONCFS Service  du00E9partemental des Vosges Loup pris par un piu00E8ge photo au levu00E9e du jour  u00E0  Midrevaux @ONCFS Service du00E9partemental des Vosges

Histoires de loups

« Chacune des espèces de loup raconte une histoire différente. En Europe, le loup gris a été exterminé au XXème siècle par l’homme. Ceux qui ont survécu sont les loups peureux qui se sont cachés. Cela se ressent encore dans le comportement des loups gris : ils sont plus craintifs. En Amérique du Nord, ils se sont aperçus à un moment que l’animal est important pour la biodiversité. Le parc de Yellowstone, créé en 1872, est le plus vieux au monde. Le loup blanc d’Alaska, lui, a été en partie chassé, en partie sauvegardé. Les Inuits l’appellent le docteur des Caribous car il ne tue que les animaux malades ou vieux et laisse les plus beaux à l’homme », rappelle Clément Leroux. Dans nos contrées, au début du XXème siècle, les mesures pour contrer la propagation de la rage, la diminution du gibier et une déforestation partielle ont été les facteurs aggravants de l’extermination du loup. Aujourd’hui, cerfs, chevreuils et autres proies sauvages ont repris leurs marques dans les forêts et espaces naturels français et y ont prospérés. Jusque-là tout le poids de la régulation de cette population hétéroclite pesait sur les fusils des chasseurs, avec le système de quotas. En la matière, le loup peut jouer une part essentielle. En se nourrissant de la faune sauvage, il intervient dans l’équilibre démographique de cette dernière. Mais revenons en Lorraine. Depuis son retour dans les Vosges en 2011, l’animal montre de temps à autre une préférence pour les proies domestiques. « Il est possible que certaines meutes s’intéressent plus aux ovins que d’autres. Certaines attaques révèlent des modes opératoires maladroits qui pourraient être le fait de jeunes loups, des chasseurs encore en apprentissage qui se tournent vers des proies plus faciles. Il faut leur réapprendre que le troupeau est inaccessible », insiste Jean-Marc Landry, spécialiste suisse du loup. Selon les observations de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage, il y aurait dans la région cinq individus minimum: une meute de trois à quatre loups dans le massif vosgien et probablement un loup en dispersion en Meuse. C’est d’ailleurs ce dernier qui a fait la une des journaux. « La première attaque remonte à octobre 2013 et jusqu’au printemps 2014, il n’y a pas eu trop de remous médiatique. Mais cet été ça a été la saga », se souvient Dempsey Princet, coordinateur régional pour la fédération d’associations MIRABEL – Lorraine Nature Environnement. Ce « remous » les a justement poussées à se regrouper et à réfléchir au problème. Le 10 octobre dernier, MIRABEL a publié en ligne la note de positionnement « Élevage en plaine ou loup : pourquoi choisir ? ».

Loup et brebis, une place pour chacun

« Nous n’avons pas réagi tout de suite car nous voulions prendre notre temps. Le sujet est complexe, les enjeux sont forts. Et surtout, nous voulions rencontrer les éleveurs et mieux appréhender leur situation »,
avance Dempsey Princet. Et d’ajouter : « Nous avons conscience de leur désarroi. Je suis agronome de formation et je comprends bien les difficultés que connait déjà la filière élevage en France. Je ne conçois pas que celle-ci disparaisse de nos territoires mais je veux un élevage garant de la biodiversité ».
Le retour du loup en Lorraine, et plus particulièrement en Meuse, est aussi un problème d’anticipation. Avec un territoire d’environ 250 km2, le loup est très mobile. Et du massif vosgien aux plaines meusiennes, la surface à parcourir n’est pas si grande pour l’animal. L’arrivée du « canis lupus » oblige aussi les éleveurs à repenser entièrement l’exercice de leur activité. Car pour contrer le loup et l’éloigner des troupeaux, ils doivent d’abord mieux connaître l’animal. Et ce n’est pas évident de passer de la brebis à son prédateur. Cela étant, la cohabitation entre ces deux ennemis naturels est possible. Dans les Vosges, elle commence déjà à trouver son modèle : depuis 2011, les attaques de troupeaux ont diminué alors que la population lupine a augmenté. Clôtures électrifiées, aides bergers, chiens de troupeaux… des mesures de protection contre le loup ont déjà fait leurs preuves dans le Mercantour et dans d’autres zones d’Europe. Certaines d’entre elles avaient déjà été expérimentées par des éleveurs meusiens mais sont restées insuffisantes pour le moment. « Nous en avons rencontré un qui avait posé des filets de protection électrique de 90 cm de haut, juste derrière ses fils à mouton de 1 mètre 10. Malheureusement les loups peuvent sauter par-dessus les deux », déplore le coordinateur régional de MIRABEL-LNE. Pour cette raison, la fédération d’association garde le dossier en main et tente de trouver des solutions avec les éleveurs. Elle réfléchit notamment à la création de chantiers bénévoles pour les aider à mettre en place ces différents outils. La réconciliation entre amoureux de la nature et exploitants agricoles a de l’avenir. Entente et compréhension mutuelle en seront la carte maîtresse. Le loup, lui, continuera de fasciner. Si loin de l’homme et pourtant si proche : « Le loup est un miroir de la société. Dans une meute, il y a un courageux, un trouillard, un gourmand… », égraine Clément Leroux. Ni magnifique, ni terrifiant, le loup gagne à être connu pour ce qu’il est, derrière les apparences.