Les petites mains de l’Opéra National de Lorraine

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VivreNancy s’est glissé entre deux coupons de tissus pour partir à la découverte de l’atelier costume de l’opéra national de lorraine à Nancy. Un lieu magique, digne de la haute couture, où naissent sous les mains agiles des couturières les merveilles des prochaines créations nancéiennes.

L’atelier est niché au troisième étage de cet immense vaisseau de pierre qu’est l’opéra, bâti par Hornecker dans les années 1910. Une fois l’entrée des artistes franchie, une volée d’escalier en pierre vous mènent au cœur des coulisses. Un couloir, un second, des loges, la régie générale puis, enfin, au sommet de quelques marches, l’atelier costume. Décrire les lieux n’est pas chose aisée. Des fenêtres courent sur toute la hauteur supérieure des murs. On y aperçoit les arbres de la Pépinière tout proche qui nous rappelle que nous sommes à quelques dizaines de mètres à peine de la place Stanislas. De l’autre côté, les toits de l’opéra. Dans l’atelier, des mannequins (dont certains aux gabarits incroyables, qui évoquent les physiques impressionnants de certain(e)s solistes), des portants, des machines à coudre, de vastes tables sur lesquelles se déploient patrons et coupons de tissus. Au mur, des dessins, des esquisses, des échantillons qui témoignent de la création continue qui règne ici.

Un rôle précis

Autant l’avouer, avant de réaliser ce reportage, l’équipe de VivreNancy ignorait les nombreuses subtilités de la profession, notamment les rôles précis attribués à chacun. On pourra s’en étonner mais, l’opéra étant une « grosse machine », une répartition précise des tâches est nécessaire. Ainsi, lors d’une nouvelle création, le metteur en scène s’entoure d’une équipe restreinte : l’un est chargé des décors, l’autre des lumières, etc… Celui en charge des costumes est le costumier. C’est lui qui, en accord avec les souhaits du metteur en scène, détermine les costumes, leurs couleurs, leurs volumes, leurs matières. Il consigne toutes ses volontés dans un « cahier » qu’il transmet à l’atelier où les couturières prennent le relais. A elles de mettre en trois dimensions ce qui se résume parfois à de simples indications. Le travail est loin d’être simple. La matière voulue par le costumier est parfois impossible à assembler, ou ne donne pas l’effet voulu. Un véritable dialogue s’engage alors entre les couturières et le costumier, afin de traduire parfaitement les souhaits initiaux, sans dépasser le budget alloué ! « Le respect du budget nous oblige souvent à de véritables tours de force » reconnait Danièle Didier-Laurent, chef d’atelier depuis 32 ans. « Les délais sont parfois très courts, surtout lorsqu’il faut gérer plusieurs créations en même temps ». Ce fut le cas à la fin de l’année dernière, avec 4 créations. 10 heures par jours pendant quatre mois, c’était le quotidien de Madame Didier-Laurent ! Mais la passion de son métier reste plus forte. L’équilibre entre la gestion financière, les désirs du costumier et les délais à tenir est souvent très délicat.
Si l’atelier « habille » les solistes et choristes au départ, il ne les habille pas au sens propre avant chaque représentation. Ce rôle revient aux habilleuses, qui effectuent également les petites retouches et réparent les petits accrocs. « Les costumes ne nous reviennent, précise Danièle Didier-Laurent, qu’en cas de gros accidents, ce qui arrive rarement ».

Une qualité évidente

Les solistes (16 pour la prochaine création L’Italienne à Alger) ont des costumes taillés sur mesure. « Le but est qu’ils oublient le costume. Ils ne doivent être gênés en rien » nous confie la chef d’atelier ; « Les mesures de certains solistes qui se produisent régulièrement ici nous sont connus. Pour les autres, on passe par leur agent ». Des essayages viennent parfaire cette réalisation de haute voltige. La qualité du sur-mesure est indéniable, à tel point que certains solistes ont même demandé des confections privées. Une satisfaction et une gratification évidentes pour Madame Didier-Laurent. Lorsqu’on lui demande si certains solistes sont plus exigeants, la réponse monte à l’unisson des différents coins de l’atelier : les Italiens. Il est vrai qu’ils ont une tradition d’élégance qui n’est plus à faire.
L’atelier réalise tout type de costume, de la création la plus contemporaine aux costumes d’époque à corset et crinoline. La seule différence avec la confection « civile » sont les tailles des coutures et des ourlets, plus généreux, afin de permettre des retouches si le prochain soliste qui doit endosser le costume (lorsque la production est reprise ailleurs) est plus grand ou plus « généreux ».

Le devenir des costumes

Les huit couturières le reconnaissent, elles ont souvent un pincement au cœur lorsque les costumes quittent l’atelier. Elles y ont souvent passé du temps, que ce soit pour une création nouvelle ou pour adapter un ancien costume. D’ailleurs, lorsqu’elles assistent à la Générale, elles ont souvent les yeux rivés sur leurs « imperfections » avant de profiter du spectacle. « Que voulez-vous, nous avons l’œil critique ». Cela va souvent de paire avec un haut degré de qualité. Les répétitions permettent de confronter les efforts de la création avec la réalité de la scène. Les solistes de la nouvelle génération bougent davantage ; les costumes doivent suivre leurs mouvements.Une fois les représentations achevées, les costumes sont archivés, tant que les décors sont conservés. Ces derniers détruits, les costumes rejoignent alors le stock général où ils serviront peut-être de base pour de nouvelles créations. Plus rarement, ils arrivent que l’ensemble des costumes et décors soient revendus à un autre Opéra. Ces œuvres (d’art) restent donc des créations éphémères.

Les costumes participent pleinement à la beauté d’un opéra. Une mauvaise coupe, un mauvais tombé, et tous les effets visuels d’une mise en scène peuvent être ruinés. L’atelier costume est peut-être un atelier de « petites mains », mais c’est avant tout celui de grands talents.

Opéra National de Lorraine • 1 rue Sainte-Catherine, Nancy • www.opera-national-lorraine.fr