Natures pas si mortes

476

Ils font de l’art avec ce que les autres ne regardent même plus. Ils encadrent des murs qui s’effritent, des maisons à l’abandon et leur redonnent la vie dans leurs photographie. Adeptes de l’exploration urbaine, deux photographes lorrains ont su concilier leur soif d’aventure, leur goût de l’architecture pour un projet original.

Il y a quelques années, les roues de leurs skates résonnaient dans les endroits abandonnés du côté de Villers-Lès-Nancy. Le bruit de leurs bombes de peintures habitait le silence de zones en friche et leurs couleurs venaient recouvrir les murs de béton. De cette époque de liberté, ils ont gardé les mêmes réflexes, la même soif d’exploration. Mais aujourd’hui, les skates restent au garage, les bombes ne peignent plus. C’est avec leurs appareils photo en s’effaçant dans le paysage que Darmé et Picturewall, de leur nom d’artistes, signent leur présence.
Il fallait voir la foule se presser devant le mur rempli de leurs photos. C’était il y a quelques jours dans le cadre du P’tit Baz’Art à Nancy. Des murs qui s’effritent, une chaise posée là, un vieux manteau, un vélo déglingué, le lierre qui grimpe. Dans les photos du collectif I Love your Home, leur nom de scène, se dégage une ambiance que chacun mettra à sa sauce. Ici on verra une scène angoissante, là une vision post-apocalyptique. Parfois aussi, une simple impression de quiétude, de calme, façon temple bouddhiste en pleine jungle, les bébêtes en moins.

Ne rien toucher, ne rien changer

Ces scènes à la frontière du réel ne sont pas truquées, pas montées. Rien que du naturel, ou plutôt de l’artificiel abandonné. Comme ce vieux château en Belgique : «Il fait partie des lieux incontournables, connu parmi les amateurs de ce type d’ambiance, explique Darmé. Plus personne n’y habite depuis des années mais tout est resté en l’état. Notre ambition alors est d’y pénétrer malgré l’interdit plus ou moins officiel. Une fois dedans, nous nous imprégnions des lieux, puis nous photographions, sans jamais rien toucher.
C’est fou ce qu’on peut alors saisir comme images. »
Explorer, pénétrer, s’aventurer et immortaliser : la pratique de I Love Your Home fait partie de l’Exploration Urbaine, communément appelé UrbEx. Sous ce vocable se rassemblent plusieurs types de passionnés des zones urbaines en friche. Artistes, ou simple promeneurs, tous se donnent les moyens de se réapproprier des lieux que beaucoup ignorent simplement. Les règles essentielles ont été conceptualisées dès les années 90 : «Ne rien prendre à part des photos, ne rien laisser à part des traces des pas, et ne rien tuer à part le temps. »
Démarche artistique, curiosité intellectuelle, c’est aussi la recherche d’une certaine montée d’adrénaline que recherchent Darmé et Picturewall : «Parfois, les choses ne se passent pas aussi bien qu’on l’imagine. Mais à part quelques rencontres avec la police, la tension vient surtout dans le recherche des bonnes adresses et les moyen d’y pénétrer. Une fenêtre ouverte, un carreau déjà cassé ou même… les égouts. »

LM41-030 LM41-031 LM41-032

Soif d’aventure

Même si l’activité reste illégale, car le cadre de cet art reste une propriété privée, la pratique est la plupart du temps tolérée car sans effraction et à but artistique.
Et le résultat est à la hauteur de l’ambition et des efforts fournis. Les photographies de I Love Your Home proviennent principalement des zones frontalières, Belgique, Luxembourg ou Allemagne. C’est dans ce dernier pays, qu’on été prises les photos de la série de la maison du docteur Anna. Le tube de dentifrice est encore sur le lavabo, les vêtements au porte-manteau. En voyant les bocaux de formol, et les instruments médicaux on a l’impression que le propriétaire vient de fermer la porte. «En France, les lieux à l’abandon sont très vite dépouillés, vidés. Pour trouver une adresse, nous nous appuyons sur notre réseau et nous sommes sur le qui-vive quand nous apprenons qu’une usine, une fabrique ou un hôpital vient de fermer. Une à deux fois par an, nous faisons un voyage un peu plus lointain pour explorer les pays comme l’Angleterre ou l’Italie. Dans ce pays nous avons pu visiter des vieilles églises à l’abandon ou des pensionnats. Certaines ambiances sont parfois un peu flippantes, un peu dérangeantes. Car on imagine forcément ce qui a pu se passer, même si notre but n’est pas de retracer l’histoire des lieux».
Parmi les endroits qu’ils rêvent d’explorer, la région de Tchernobyl où malgré le risque, les premières images assez touchantes d’anciens lieux de vie commencent à paraître sur la toile.
D’expos en expos, le travail de I Love Your Home commence à se faire connaître. Leurs photographies, accessibles au plus grand nombre séduisent de plus en plus.  Un atelier au plancher écroulé, son lierre grimpant sur des carreaux cassés. Accroché dans votre salon bien rangé. Franchirez-vous le pas ?

Plus d’info : iloveyourhome.fr