Owen Wingrave : le prix de la paix

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Du 5 au 11 octobre, l’opéra national de Nancy-Lorraine nous fait traverser la Manche et découvrir une œuvre peu connue du public français : Owen Wingrave. Composé par Benjamin Britten sur une nouvelle d’Henry James, l’œuvre met en lumière la difficulté d’imposer la paix dans une société marquée par la guerre. Un message qui en ces temps troublés sonne un rappel.

Cela pourrait commencer comme du Zola. Un jeune homme, issu d’une longue lignée de militaires, se retrouve confronté à un choix : se conformer à la tradition familiale ou suivre ce que lui dicte sa conscience et s’élever contre cette fatalité guerrière. Cela ressemble au déterminisme zolien et pourtant n’en est pas. Owen Wingrave est plutôt un héros tragique. Il se rebelle contre l’ordre familial établi, quitte à en payer le prix. Benjamin Britten, comme son personnage, est antimilitariste  et aborde la thématique du pacifisme dans nombre de ses œuvres. Dans celle-ci, le compositeur brouille presque les pistes. Owen Wingrave est hanté par les esprits de ses illustres ancêtres, cherchant à le convaincre de rentrer dans le rang. Mais l’atmosphère fantastique de l’opéra n’est qu’un écran de fumée. Peu à peu il s’évapore pour laisser entrevoir l’essentiel : les fantômes ne sont pas les véritables ennemis. Sa propre famille joue ce rôle. Elle se révèle incapable de le comprendre et le rejette en conséquence. Coincé entre passé et présent, entre son devoir et son libre-arbitre, le héros nous force à affronter nos propres démons.

Théâtre d’ombres

Noire et oppressante, la pièce est comme l’obscurité dans les tableaux du Caravage : elle renvoie avec plus de force la lumière émanant du personnage principal. Mais c’est une lumière fragile et glacée, tremblante et vacillante. La metteuse en scène Marie-Ève Signeyrole a composé un décor qui fait écho à ce climat. La demeure familiale, dans laquelle l’histoire se déroule, est construite comme une lanterne magique. À l’intérieur, les protagonistes sont piégés par le poids de leur héritage. « Notre décor n’a pas le réalisme habituel d’un manoir. Nous avons cherché un objet à la fois mental, martial et cinématographique. Mental parce qu’il s’apparente à un outil de torture qui instrumentalise notre héros et parce qu’il peut aussi être le fruit d’une vision cauchemardesque de ce dernier », analyse-t-elle. Pour sa part, Yashi confère aux costumes des personnages une austérité, une rigidité par l’utilisation de coupes droites et des couleurs sombres. Quant à la partition musicale, elle emmenée par le jeune chef d’orchestre Ryan McAdams. Après l’adaptation colorée et déjantée de Candide de Bernstein, il se frotte à une œuvre aussi piquante qu’un chardon de Lorraine.