Azannes, attention départ !

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L’histoire est bien plus passionnante quand elle prend vie sous nos yeux. Il en est de même pour les vieux métiers oubliés. À Azannes, les Dimanches de Mai en Meuse les font renaître pour le plaisir de tous.

Non, vous n’êtes pas à Nogent et encore mois sous les tonnelles. Les filles sont peut-être belles mais le seul vin blanc que vous boirez ici est celui de Moselle. Malgré tout, cette chansonnette, un peu guinguette, un peu goguette, vous trotte dans la tête bien malgré vous. Bienvenue à Azannes en Meuse, là où les Vieux Métiers reprennent du service tous les ans en mai. Les visiteurs de ce village éphémère font un bond dans le temps et se retrouvent plantés au XIXe siècle face à des personnages hauts en couleurs. En 2016, retrouvez-les le jeudi de l’Ascension, les dimanches 8, 15, 22 et samedi 28 mai.

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30 ans entre deux époques

Créée en 1985, l’association G.E.V.O. « Les Vieux Métiers » n’était destinée au début qu’à collecter des fonds en vue de construire le mémorial de Grand-Failly pour les 3.000 soldats américains et 250 soldats interalliés tombés en 1944 à la bataille de Bastogne. Au bout de deux ans, le monument est financé mais les bénévoles sont tombés dans la marmite du retour dans le passé. Les facteurs d’orgue, scieurs de long et autres tonneliers prennent leurs outils et changent plusieurs fois de paysage. En 1990, les Vieux Métiers prennent racine à Azannes, dans la ferme des « Roises » où petit à petit un vrai village se reconstitue. Sur ce terrain de 17 hectares, s’implantent d’abord des baraques en bois où forgeron, vannier ou menuisier reproduisent sous les yeux du public des gestes séculaires. Très vite cependant, les lieux retrouvent leur lustre d’antan : la chapelle d’Arrancy y est déplacée et remontée à l’identique, les maisons subissent le même sort ou sont reconstruites à partir des mêmes plans avec des éléments de récupération… Les ont suivi la forge, la tuilerie, les maisons du vannier et du pêcheur et bien d’autres édifices tous porteurs d’une histoire.

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Face à l’adversité

Ancré dans le XXe puis le XXIème siècle, Azannes oscille entre ces derniers et le XIXème, sa destination temporelle favorite. À une vingtaine de kilomètres de Verdun, ce territoire a été particulièrement touché pendant la Première Guerre mondiale. Nombre de villages ont été détruits et, avec eux, tout un patrimoine architectural et social. La reconstruction d’un hameau permet donc de recréer une vie qui s’est presque éteinte avant d’évoluer, engloutissant ainsi de nombreux savoirs. En effet, ce que la Grande Guerre a entamé, le déclin de la sidérurgie lorraine l’a achevé et les populations de ce charmant coin de Meuse sont parties. Aujourd’hui, le canton de Damvillers, auquel appartient Azannes, dénombre seulement 12 habitants au km2. Même de façon éphémère, la fête des Vieux Métiers modifie clairement la démographie de cette zone. Elle attire à elle de plus en plus de visiteurs, passant de plus de 19 000 en 2013 à 32 000 en 2015.

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Retour aux sources

Depuis vingt-cinq ans, aux « Roises », la lavandière frotte son linge sur sa planche à laver en discutant des dernières nouvelles. Le sabotier sculpte à l’aide de son paroir la forme de sa future création puis la creuse avec une tarière pour pouvoir y glisser plus tard des petits petons. L’artisan confiturier surveille son sirop de fruit en train de mijoter, laissant s’échapper d’une vieille marmite des effluves alléchants. Le boulanger a pétri sa pâte dès potron-minet et la cuit sous le nez du public. Azannes n’est pas un musée froid et inhumain. Au mois de mai, il s’anime. Les bruits du maréchal-ferrant frappant le fer sur l’enclume se mêlent à la discussion pleine de faconde du tuilier et de sa tuilière. Au fur et à mesure que passent les éditions, de nouveaux artisans viennent enrichir le creuset des 400 bénévoles. En 2015, le chaumier et le luthier ont intégré la manifestation et une toute nouvelle scierie était inaugurée.

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L’avenir du passé

L’équipe des Vieux métiers a pu, grâce à l’affluence des éditions précédentes, enclencher de nouveaux chantiers comme celui du moulin et sa roue à augets qui alimente en farine le boulanger pour ses pains, gaufres et tartes cuits au feu de bois. En 2016, le souffleur de verre entre aussi dans la danse. À 10 heures tapantes, les 5, 8, 15, 22 et 28 mai, le site ouvrira ses portes aux curieux, avides de changer d’époque et de rythme. Vers midi, il est temps de s’arrêter un moment pour se restaurer et savourer quelques spécialités locales, à l’instar de la soupe au lard cuisinée dans l’âtre, puis de repartir et explorer. Même les grosses légumes oubliées se rappellent à nous dans un jardin qui leur est entièrement dédié. Quant aux amateurs de « La Guerre des Boutons », ils pourront replonger avec joie dans leurs souvenirs à travers la salle de classe style XIXe. Dans l’été, l’association remet le couvert et rouvre à l’occasion du Centenaire pour faire découvrir aux passionnés d’histoire vivante « l’arrière-front allemand dans un village meusien pendant la bataille de Verdun en 1916 ». Décidément, Azannes nous fait fredonner tout au long de notre visite une mélodie bien fraîche : « les tables sont prêtes, l’aubergiste honnête, y’a des chansonnettes et y a du vin blanc ».

Le village des Vieux Métiers, Domaine des « Roises » à Azannes. Contact : 03 29 85 60 62 • [email protected] • Plus de renseignements : vieuxmetiers.com

La foire aux métiers

En guise d’amuse-bouche, découvrez parmi les 80 présentés à Azannes deux métiers aujourd’hui disparus : celui du tuilier et du tanneur.

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Christine et Pascal Briy : tuiliers à la vie, à l’amour

Bénévoles aux Vieux Métiers depuis 1993, cet agent technique ONF et cette directrice d’école se retrouvent côte à côte lors des Dimanches de mai en Meuse.

Comment êtes-vous devenus tuiliers ?

P. B. : J’ai commencé par faire des remplacements sur la batteuse de blé. Et puis la fille du tuilier, Monique, est partie et il fallait la remplacer. Le président de l’association à cette époque nous a donc chargés tous les deux de prendre la relève. Monique connaissait bien le métier grâce à son père et nous a laissé des documents pour apprendre. Par la suite, nous avons enrichi nos connaissances grâce à certains visiteurs qui appartenaient directement ou indirectement à ce domaine. Nous avons même eu le directeur de la tuilerie de Pargny-sur-Saulx, venu piétiner l’argile.

C. B. : Nous avons découvert entièrement ce métier. Au départ, je ne m’imaginais pas à ce poste. J’étais plus attirée par la broderie ou la dentelle. Mais au fil du temps, j’ai appris à l’aimer. C’est une activité passionnante car elle contient de nombreux paramètres : le travail de la terre et de l’argile, les différentes cuissons, les couleurs de tuiles liées aux minéraux… Nous sommes vraiment heureux de pouvoir le partager avec le public dans une ambiance festive.

Quels aspects du métier avez-vous découverts ?

P. B. : C’est un travail qui demande de la patience et de la précision. L’argile est d’abord pétrie comme une pâte à tarte. Elle doit ensuite reposer 24 heures et être mise en forme grâce à des moules. Cette partie revient à ma femme car les tuiles sont moulées sur la cuisse. Normalement l’étape suivante est la cuisson. Mais nous n’avons pas de four assez grand pour cela. Surtout, c’est une étape très délicate. Autrefois, les hommes restaient debout jour et nuit pendant huit jours afin de le préchauffer. Les tuiles étaient chauffées en 48 heures. La température ne devait pas dépasser 1 300° Celsius sinon l’argile fondait et la fournée entière conglomérait. En plus, pour seul thermomètre, ils utilisaient une brosse avec de la soie de sanglier : en fonction de la frisure de la soie, ils estimaient si la chaleur était suffisante ou non.

C. B. : Nous présentons ce métier sous forme d’un sketch de 20 mn en alternant des parties plus techniques à d’autres plus comiques. Avec mon mari, nous jouons à nous disputer : il plaisante sur mes cuisses au moment du moulage. Cependant, nous insistons aussi sur la pénibilité de ce travail et les visiteurs sont assez fascinés. Les tuiliers s’échinaient toute l’année. En hiver, ils cherchaient du bois et de la terre. Au printemps, ils passaient au modelage et en été s’attelaient à la cuisson. Aujourd’hui le métier a totalement disparu alors qu’au XIXe siècle, il y en avait dans chaque village.

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Patrice Ledard : « plus pelletier que tanneur »

Comme Christine et Pascal Briy, Patrice Ledard est là depuis le début de l’aventure des Vieux Métiers. Depuis presque 30 ans, il donne une seconde vie aux petites bêtes.

Comment êtes-vous devenus tanneur ?

À l’origine, j’étais aux entrées. À cette époque, elles étaient situées au niveau de la route, qui était coupée pour l’occasion. Et puis, quand le village s’est déplacé à Azannes, l’association a créé des guitounes pour filtrer le flux des visiteurs. J’ai continué pendant deux ans et puis on m’a demandé d’intégrer un métier. Ayant déjà effectué des stages de reliure, je devais initialement m’orienter dans ce domaine et puis, finalement il y avait besoin d’un tanneur supplémentaire. J’ai commencé avec la doyenne des Vieux métiers et des bénévoles : Mme Claude. À 95 ans, elle travaille toujours le tannage avec moi et c’est aussi elle qui m’a appris ce métier.

Quels aspects du métier avez-vous découverts ?

Ce que nous faisons relève plus du pelletier que du tanneur car le pelage de la bête reste intact. Nous travaillons uniquement sur des petites peaux, du lapin le plus souvent mais aussi du mouton. Le tanneur agit en plusieurs étapes sur les peausseries et il nous est impossible de les réaliser toutes en une seule journée. Nous préparons donc les peaux une semaine avant et nous montrons au public l’étape de l’assouplissement. C’est la partie la plus importante car elle détermine la souplesse et la qualité du cuir ou de la peau. L’objectif du tannage est d’empêcher cette dernière de pourrir. Pour se faire, différentes substances peuvent être utilisées. Les Esquimaux se servaient de salive humaine. Aujourd’hui l’industrie réalise des tannages au chrome. Une seule journée suffit pour tanner les peaux alors qu’un tannage végétal pouvait prendre jusqu’à 30 ans…

Comment réagit le public ?

En général, le tannage est un travail plutôt dégoutant mais il arrive que certaines personnes soient intéressées. Une fois, un visiteur venu des Ardennes est resté une journée avec nous pour essayer de comprendre comment ça fonctionne. C’était un piégeur : il tuait des animaux nuisibles comme les rats musqués et il ne savait pas quoi faire des peaux. Il en était désolé. Il est revenu l’année suivant et encore celle d’après. Cette fois-là, il a ramené un dessus de lit qu’il avait fait avec les fourrures de rats musqués. C’était un vrai chef d’œuvre.

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