Le paradoxe du noir

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Absence totale de lumière ou non couleur, carbone, pétrole ou corbeau, le noir est-il si obscure qu’il faille le nier ? Sûrement pas et c’est là tout le propos de l’exposition « Eigengrau » à Poirel, défiant votre vision et votre perception en 24 nuances de gris.

Quasiment intraduisible en français, le terme allemand « Eigengrau » est à l’origine de la nouvelle exposition d’art contemporain présentée à la galerie Poirel. Le Goethe Institut en donne l’interprétation d’une lumière ou d’un gris intrinsèque : « C’est un pur hasard si nous sommes tombés sur ce mot mystérieux qui nous a transporté dans un imaginaire particulier, lié à ces instants où, plongé dans le noir, le cerveau analyse et compense une obscurité totale par des nuances de gris foncé. Dans cette exposition, nous pouvons desceller que le monde que nous croyons voir n’est peut-être pas celui qui nous entoure véritablement» explique Morgan Fortems, l’un des trois commissaires de l’évènement.

Travaillant dans l’association nancéienne « My Monkey » (spécialisée sur le design graphique contemporain), les deux amis de Morgan, Thomas Bouville et Frédéric Rey, se sont rapidement projetés dans un univers subtil voire métaphysique. Pour monter cette expo, un appel à projets franco-allemand a été lancé voici plus de trois ans. Le résultat est étonnant par le panachage d’objets design et d’œuvres créées, certes plus ou moins accessibles mais de nombreuses sessions de médiation sont programmées (soirées blanches avec discussions, rencontres avec les artistes et ateliers enfants…).

Visiteurs nyctalopes

Structurée en quatre parties, elle s’ouvre sur le thème de « Broyer du noir » où les quatre éléments et la vision de Plutarque cherchent à déterminer ce qui constitue physiquement le noir. Ainsi, le travail de Thomas Vailly déstructure les différentes matières d’un arbre pour obtenir un noir plus chimique que celui de Julie Coutureau qui s’est intéressée à un noir plus intellectuel produit à partir d’un texte.

Ensuite, c’est le processus de vision et de perception dans la pénombre qui intervient par la seconde partie « Les nyctalopes » invitant à marcher à tâtons, à jeter un œil de perspective dans les maquettes de l’architecte Nicolas Depoutot. Etonnante aussi l’expérience participative de Vanessa Dziuba et sa vision aveugle en dessin.

Couleur RAM

«La marée noire », 3ième partie, présentera un monochrome gris pour distinguer une image fumée tandis que l’œuvre de Ferréol Babin s’amuse de la fusion design d’objets usuels avec de la roche. Vous cherchez une nouvelle peinture pour vos murs ? Optez pour un  gris «ROM » ou « RAM » de Sylvain Barbier, soit une base acrylique teintée par des pigments de silicium récupérés en broyant des cartes mémoires mortes ou vivantes d’ordinateurs usagés.

Enfin, «Outre noir » clôture une exposition originale où Pierre Soulages n’est pas loin et où le noir intense « recrache une lumière mystérieuse voire mystique, une lumière riche, dotée de reflets bleus ». Le tout comme un champ mental hors d’atteinte où des fantômes viennent peupler des photos et des sérigraphies.

La scénographie est paradoxalement lumineuse comme cette faille volontaire dans les blocs de cimaises blanches où sont installés 24 œuvres tout en nuances. On n’en ressort pas aveugle, au contraire, on trouve la lumière dans le noir absolu.»

« Eigengrau, 24 nuances de gris », jusqu’au 5 février 2017, galerie Poirel à Nancy. Infos : poirel.nancy.fr